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D’en entendre vanter les mérites à longueur de journée, il est facile de finir par oublier ce en quoi consiste techniquement la blockchain, ce qu’elle permet, et quelles en sont les limitations. En comprendre le fonctionnement permet d’en concevoir des usages toujours plus créatifs, mais également d’apprécier la complexité de la mise en oeuvre de certaines de ces solutions.
La blockchain a été créée pour résoudre un problème simple : les systèmes de paiement traditionnels sont basés sur la connaissance de l’identité des parties à l’échange. La validité de ces identités est garantie par une instance centralisée (État, administrateurs d’un site, huissier, etc.). Mais si l’on veut établir un système décentralisé de paiements, c’est-à-dire sans instance centrale régulatrice, alors la validation des identités des participants ne peut être assurée.
C’est le prix à payer pour un système ouvert, sans enregistrement, et rapide. Mais comment assurer dans le même temps que des participants anonymes assument réellement leurs obligations contractuelles, et qu’ils ne puissent ni mentir sur l’état réel de leurs finances, ni récupérer la somme payée après la réalisation de la transaction ? Dans le monde physique, il
est impossible de créer de la confiance entre personnes anonymes, car la facilité à tirer parti de l’asymétrie d’informations entre participants sélectionnera de préférence les arnaques aux transactions honnêtes.
La solution proposée par la blockchain est d’introduire un seul élément de centralisation indiscutable et infalsifiable au sein d’un système totalement décentralisé : le livre de comptes qui tient lieu d’historique indélébile de toutes les transactions réalisées. De ce fait, pour assurer l’intégrité du système, il suffit que tous les validateurs (« mineurs ») du système téléchargent la copie exacte du registre unique de toutes les transactions. Ils peuvent ainsi vérifier à tout moment les comptes de chacun des participants anonymes, et savoir s’ils disposent des fonds nécessaires à la transaction. Une fois la transaction validée, « minée », celle-ci s’ajoute
au registre et devient donc visible à chacun. Ainsi, anonymat et transparence fonctionnent de pair pour éliminer toute possibilité de conduite malveillante. L’expression blockchain désigne
la chaîne de blocs de transactions. Pour valider des transactions, les mineurs doivent résoudre un problème mathématique difficile. Le premier à l’avoir résolu valide les transactions de son bloc, ce qui rend caduques toutes les autres validations en cours chez les autres mineurs, préservant ainsi l’unicité de l’historique des transactions. En l’absence de ce mécanisme,
appelé « preuve de travail » (« Proof of work »), tous les mineurs pourraient proposer au même moment des transactions mutuellement contradictoires, et le principe même d’un registre unique cesserait d’opérer.
Inventé en 2008, le Bitcoin a été la première incarnation pratique de la blockchain, et de ce fait, les cryptomonnaies en sont venues à représenter la blockchain dans l’imaginaire du grand public. En somme, la blockchain peut être vue comme une façon de monétiser des calculs, puisque les mineurs offrent leur puissance de calcul pour valider des transactions en Bitcoin, et sont récompensés dans la même monnaie. En 2014, Ethereum a ouvert de nouvelles perspectives en exploitant le plein potentiel de la technologie du registre distribué : si les cryptomonnaies
sont créées par des calculs, c’est-à-dire des programmes informatiques, pourquoi ne pas généraliser le concept et considérer que la blockchain sera un système de traitement
de transactions monétaires via des programmes informatiques à exécution automatique ? En renversant ainsi la question, Ethereum ouvre la voie à l’utilisation de contrats intelligents, gérant des transactions monétaires en fonction de certaines conditions définies librement par les usagers.
Toutes ces idées, imaginées bien avant leur mise en oeuvre par le Bitcoin et Ethereum, ont pour la première fois démontré leur validité et leur efficacité pratique.
À leur suite, de nombreuses autres blockchains ont vu le jour : Polkadot, Cardano, Tezos, Binance Smart Chain, Solana, pour citer les plus connues. Elles diffèrent par le temps de traitement des transactions, les frais de validation, et donc leur degré de centralisation.
Il existe en effet un arbitrage entre sécurité, ouverture du réseau, et rapidité. Plus le réseau est ouvert au public, plus il nécessite de validateurs pour assurer l’honnêteté des transactions, plus il est lent et cher à l’usage. Certaines blockchains ont donc opté pour une centralisation accrue, avec peu de mineurs, afin de gagner en vitesse. D’autres ont sacrifié l’ouverture, et ne sont réservées qu’à des membres identifiés : ce sont les chaînes « permissionnées », comme Hedera et Hyperledger, qui ont la préférence des groupements d’entreprises pour des réseaux connectant des partenaires ciblés.
Comme tout système informatique, les blockchains ne sont pas exemptes de défauts. La sécurité des transactions a été assurée sur le réseau Bitcoin par la mise en place d’une « preuve de travail », qui est aujourd’hui décriée pour la haute consommation d’énergie qu’elle occasionne. Ethereum s’est initialement basé sur le même mécanisme, mais en souffre de plus en plus, car sa complexité congestionne le réseau et conduit à des coûts de fonctionnement devenus aberrants.
La deuxième génération de blockchains utilise la « preuve d’enjeu » (« Proof of stake »), qui ne demande plus la résolution d’un problème, et permet à tous ceux qui possèdent une somme suffisante de la cryptomonnaie de la chaîne, de jouer le rôle de validateur. D’autres modes de preuve incluent la « preuve de possession » (« Proof of hold »), reflétant la durée de la possession de la cryptomonnaie utilisée sur le réseau (token), la « preuve d’importance »
(« Proof of importance »), basée sur la réputation du validateur, la « preuve d’utilisation » (« Proof of use »), correspondant au volume de transactions effectuées par l’utilisateur, ou enfin la « preuve de destruction » (« Proof of burn »), par laquelle un validateur détruit une partie de ses avoirs afin de prouver son engagement envers le protocole.
D’autres techniques plus complexes, comme le sharding (segmentation des opérations) et les rollups (calculs hors-chaînes, moins coûteux mais basés sur des concepts mathématiques avancés), sont les solutions actuelles présentées pour faire baisser la consommation énergétique de la blockchain, qui reste toutefois dans le même ordre de proportions que les activités des data centers du web 2.0 *.
En tant que solution technique, la blockchain est un type de protocole en constante évolution. Elle mobilise les meilleures compétences d’ingénierie des réseaux, de cryptographie,
d’économie et d’électronique. Les solutions qu’elle dessine ont déjà donné naissance à une nouvelle manière de penser l’entrepreneuriat, les échanges commerciaux, et la valorisation des actifs numériques. Par-delà les crises et les bulles, la blockchain et le web 3.0 auront un impact durable sur tous les secteurs de l’économie.
Sécurité de la blockchain
Les premières années d’Ethereum ont été marquées par des hacks spectaculaires, comme celui de The DAO en juin 2016. Une simple erreur de code a permis de drainer plus
de cinquante millions de dollars, menaçant le jeune réseau Ethereum lui-même d’une mort prématurée.
La conception de la blockchain Ethereum a soulevé des difficultés techniques particulières, ce qui a conduit à inventer un langage de programmation non exempt de failles aux conséquences
parfois désastreuses.
En outre, le facteur humain demeure un élément essentiel de la sécurité du réseau. Il est impossible de prévoir tous les cas d’abus du système, et la blockchain
obéit en ce sens à la loi générale de l’informatique : tous les logiciels sont faillibles. De plus, en vertu du triangle d’impossibilité entre ouverture du réseau, rapidité
et sécurité, les réseaux ouverts et rapides sacrifient nécessairement une partie de leur sécurité : avec moins de validateurs, il est plus facile d’en corrompre suffisamment
pour fausser l’historique des transactions. C’est pourquoi il est nécessaire de bien choisir quelle chaîne utiliser en fonction de quelles exigences de rapidité, de décentralisation,
et de sécurité.
Enfin, il revient à l’utilisateur lui-même de rester prudent, et de bien évaluer la qualité de la chaîne ou du service auquel il confie son argent. Les retours exceptionnels
des cryptomonnaies ont donné naissance à de nombreuses arnaques, qui se chiffrent souvent en millions voire en milliards de dollars. De l’exchange partant avec les fonds de ses clients (exit scam) au stable coin algorithmique perdant 99,9% de sa valeur en quelques jours, il est toujours recommandé de vérifier que l’offre ne soit
pas trop belle pour être vraie. Les entreprises qui sont là pour durer n’offriront jamais des retours sur investissement extravagants. Comprendre les mécanismes proposés, s’informer sur
les technologies utilisées, et user de scepticisme et de bon sens, permettront d’éviter la vaste majorité des projets douteux.