🇫🇷 Version française
La finance décentralisée a-t-elle pour ambition de remplacer la finance traditionnelle ? Elle s’en distingue en tout cas par quelques innovations permises par son caractère décentralisé.
Reprenant les fonctions usuelles de la finance traditionnelle, le transfert de fonds, le trading d’actifs et de produits dérivés, les prêts collatéralisés ou non, et des supports d’investissements, la DeFi aspire à fluidifier cette offre de services en mettant directement en relation les acteurs à travers les smart contracts. L’absence d’intermédiaires qui traditionnellement sont censés assurer la régularité des opérations et la stabilité du système, est compensée d’un côté par une gouvernance visant à surveiller l’évolution des plateformes, et de l’autre côté par des règles beaucoup plus strictes en matière de collatéralisation des prêts. Quand les banques doivent détenir une fraction de leurs actifs pondérés à risque en fonds propres, les plateformes de la DeFi, ne bénéficiant d’aucun prêteur en dernier ressort, et d’aucune garantie étatique, doivent sur-collatéraliser les prêts qu’elles consentent. Ainsi, chaque prêt accordé en cryptomonnaie doit être garanti à 150%, afin notamment de pallier les variations parfois conséquentes des valeurs de ces actifs. En outre, pour garantir la viabilité du système, des smart contracts sont mis en place afin de liquider automatiquement les positions lorsque la perte de valeur du collatéral le fait descendre en-dessous d’un certain seuil (supérieur à 100%). De cette manière, lors d’un prêt éclair, immédiatement remboursé - un produit unique à la DeFi -, le remboursement est assuré avant même que soit consenti le prêt.
Et c’est là une caractéristique fondamentale de la DeFi : les investissements réalisés portant presque purement sur l’arbitrage entre cryptomonnaies à cours variable, et stablecoins arrimés à une monnaie fiat, cet écosystème est largement décorrélé des marchés financiers traditionnels. Même si la majorité des stablecoins a comme sous-jacent des monnaies dont les réserves sont gérées hors chaîne, ce dispositif est transparent pour les utilisateurs de la DeFi, qui se concentrent uniquement sur l’arbitrage entre les valeurs des cryptomonnaies. Au Q1 de 2022, la capitalisation totale de la DeFi se montait à 141 milliards de dollars.
Pour que ce système puisse fonctionner en vase clos, il a fallu l’agrémenter d’un certain nombres de services rendant possibles les échanges entre cryptomonnaies, les prêts, les achats de produits dérivés et de crypto-actifs, et l’arrimage des stablecoins. L’ensemble de ces applications constitue ce que l’on appelle le « Lego de la DeFi », à travers lequel le même actif transite d’un service à un autre, parfois cycliquement, par exemple en empruntant un actif pour servir de collatéral pour un autre prêt.
La DeFi se prêt donc naturellement à des niveaux de levier habituellement interdits dans la finance traditionnelle.
Dans un marché haussier, cela permet de réaliser des gains substantiels. Mais lors d’une panique, il est très facile d’enclencher une « spirale de la mort », au cours de laquelle tout le système de collatéralisation s’effondre par effet domino. Ce risque est encore accru du fait de la jeunesse de la DeFi, qui la rend particulièrement vulnérable à l’irrationalité des comportements d’acteurs aux attitudes opportunistes. Les stablecoins algorithmiques, dont la valeur n’est pas arrimée à du fiat mais à une cryptomonnaie de référence, n’ont pas encore trouvé la bonne formule assurant la protection contre le risque de dépréciation brutale consécutive à une panique de marché.
Le dernier exemple en date est Terra/Luna, qui reposait sur un mécanisme d’arbitrage entre le stablecoin UST (Terra), dont la valeur est déterminée par son offre, et par un système de change avec une autre monnaie, le Luna. Si l’offre d’UST était trop faible, sa valeur dépassait un dollar, et une opportunité d’arbitrage se créait pour le vendre et acheter un Luna, dont la valeur augmentait alors tandis que baissait celle de l’UST. Un nouveau cycle d’arbitrage commençait ainsi en sens inverse, maintenant l’UST autour d’un dollar. L’incitation à détenir du Luna pour enclencher le processus tenait à des taux d’intérêts de 20% par an, ce qui demandait une croissance constante et soutenue du nombre d’utilisateurs pour entretenir le système. Il a suffi de quelques ventes massives d’UST pour susciter une perte de confiance totale en Terra/Luna, que l’algorithme n’a pas su arrêter, mais a au contraire amplifiée, pour atteindre un total combiné de 40 milliards de dollars de pertes.
Pour que la DeFi se développe et mature, la recherche d’algorithmes et de mécanismes d’incitations plus ingénieux devra se poursuivre. Mais la véritable éclosion de la DeFi n’aura probablement lieu que lorsque la cryptoéconomie se fondra réellement dans l’économie réelle, et que les cryptomonnaies cesseront d’être des actifs purement spéculatifs pour devenir de véritables moyens de paiements.